par Invité Ven 4 Sep - 6:49
Droits d'auteur et mise en ligne :
Les droits d'auteurs, une épine dans le pied du projet de bibliothèque numérique européenne
http://www.euractiv.fr/innovation-creativite-000151/article/droits-auteurs-epine-pied-projet-bibliotheque-numerique-europeenne-001954
10 millions de documents numérisés en 2010. C’est l’objectif fixé par la Commission européenne pour sa bibliothèque en ligne Europeana dans une communication publiée vendredi 28 août. La commissaire à la société de l’information, Viviane Reding, appelle les Etats membres à faire un effort pour numériser leurs ouvrages.
Seuls 5% des livres européens sont actuellement accessibles dans cette bibliothèque numérique européenne lancée en novembre dernier, selon les chiffres de la Commission européenne. Sans compter que sur les 4,6 millions d’oeuvres (livres, cartes, photographies, séquences de films et journaux) près de la moitié viennent de son homologue français Gallica. D’autres pays, tels que l’Italie, la Grèce, le Royaume-Uni ou l’Espagne, disposant pourtant de ressources importantes, sont à la traîne.
Pour encourager le développement des bibliothèques numériques, la commissaire à l’information s’est dite favorable à la mise en place de partenariats publics-privés, et notamment à la coopération avec le moteur de recherche Google.
Une prise de position pour le moins étonnante. Le projet de bibliothèque numérique de l'UE a en effet été porté par la France au niveau européen pour empêcher l’Américain d’avoir la mainmise sur la numérisation des œuvres. Deux ans et demi après le lancement de Gallica, le directeur général de la Bibliothèque nationale de France (BNF) Denis Bruckmann, dont l’institution est en charge du projet, a indiqué être en pourparlers avec Google. L’une des principales raisons avancée est le coût. «Pour numériser les fonds de la IIIe République, il nous faudrait entre 50 et 80 millions d'euros», a expliqué Denis Bruckmann au quotidien La Tribune le 18 août. Ces montants sont considérables comparés aux cinq millions d’euros annuels dont dispose la BNF pour mener à bien ce projet.
Or Google, qui a déjà numérisé 10 millions de documents, propose de faire ce travail gratuitement. En contrepartie, les ouvrages seraient accessibles depuis la bibliothèque numérique que le moteur de recherche est en train de constituer.
Ce partenariat permettrait au projet français et donc au projet européen de connaître une accélération significative.
L'épineuse question des droits d'auteurs
Mais la question du coût est loin d’être l’unique obstacle à la mise en place des projets de bibliothèques numériques. Ni la Commission européenne, ni la France, ni le leader des moteurs de recherche, n’ont réglé l’épineuse question des droits d’auteurs. Afin de trouver une solution, l’Exécutif européen a lancé une consultation sur le sujet, vendredi 28 août.
La grande majorité des livres numériques disponibles sur Gallica et donc sur Europeana sont tombés dans le domaine public. En effet, les droits patrimoniaux détenus par les auteurs sur leur œuvre s’éteignant 70 ans après leur mort, les institutions responsables de la numérisation des ouvrages ont estimé pouvoir numériser toutes publications répondant à ce simple critère.
Les descendants des auteurs peuvent cependant se prévaloir du respect du droit moral de l’œuvre, quant à lui imprescriptible. « Ce n’est pas parce qu’un auteur a autorisé la publication sur papier qu’il a autorisé la numérisation. C’est aux ayants droit de le dire. En cas de refus de leur part, la justice peut imposer le retrait de l’œuvre de la base de données », explique Antoine Chéron, avocat, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle.
Mais c’est surtout la question des œuvres toujours sous l’emprise des droits patrimoniaux qui pose problème. Europeana a révélé à quel point les cadres juridiques étaient, dans ce domaine, fragmentés en Europe.
« En France, le Législateur veut que l’Internet soit régi par les mêmes règles que celles qui gouvernent le monde « réel », en application du principe de neutralité technologique. Or une numérisation n’est ni plus ni moins qu’un changement de support, c'est-à-dire une nouvelle forme d’exploitation de l’œuvre », explique Antoine Chéron. Pour éviter les poursuites, les maisons d’édition qui autoriseront la numérisation de leurs fonds devront donc faire signer à leurs auteurs ou à leurs ayants droit une autorisation de republication en ligne moyennant rémunération.
Les éditeurs réticents
Mais les éditeurs ne semblent pas décidés à participer à ces projets de bibliothèque en ligne. Seuls une dizaine en France ont d’ores et déjà conclu des partenariats avec Google. L’Harmattan en fait partie. « Dès qu’on a vu que Google offrait cette possibilité, nous avons conclu un accord pour que 10% de chaque ouvrage numérisé puissent être visualisé en ligne, via notre site ou via Google », explique Denis Prien, directeur général de l’Harmattan. L’éditeur y a tout de suite vu une possibilité d’accroître sa visibilité. « Nous avons ajouté une clause dans nos contrats avec nos auteurs », ajoute-t-il.
Pour l’instant les gros éditeurs semblent muets sur le sujet. « Aujourd’hui la numérisation est un investissement à fonds perdus, mais nous avons pris le parti de dire qu’elle ne tuerait pas le livre », ajoute le directeur général de l’Harmattan. « L’ensemble des éditeurs fait un peu comme si cela n’existait pas. Je pense au contraire que c’est inéluctable. Et si nous ne sommes pas assez ouverts, il arrivera au livre ce qui s’est passé pour le monde du disque. »
Plus qu’une opposition de principe à la numérisation, la politique du chacun pour soi pourrait expliquer les réticences des éditeurs à ces projets. L’Harmattan s’est lancé lui-même dans la numérisation de son propre fonds. « Nos accords avec Google sont légers et limités. C’est juste un support de communication comme un autre », estime Denis Prien qui compte bien à terme disposer de sa propre plate-forme d’ouvrages en ligne.
« Les éditeurs paraissent davantage se placer en opposition que dans une approche d’ouverture vis-à-vis de ce projet, semble confirmer Antoine Chéron. Chacun veut sa plate-forme. »
En novembre 2008, l’UE a lancé sa propre bibliothèque en ligne, « Europeana ».
En mai 2009, les pays de l’UE ont demandé à la Commission européenne d’enquêter sur les conséquences économiques de Google Books, craignant qu’il ne nuise à l’industrie de l’édition européenne (EurActiv 27/05/09).